[RP] L'Auberge au Bon Brigand

Après avoir balancé une partie de l'info, le jeune gars observa la réaction de son interlocutrice. Elle ne laissait rien transparaître, des bonhommes venus refourguer de fausses infos pour les piéger, des centaines avaient du passer par ici.  La plupart ne devait plus être de ce monde pour en témoigner. Mais lui n'était pas de ce genre là, il avait grandi dans la crasse, et les porcheries de son hameau avec ses bon à rien de géniteurs. Tenir la faucille et le fléau toute sa vie, pour se faire tirer les trois quarts de son blé par quelques collecteurs boudinés dans leur braie de soie, impossible. Il voulait vivre sur les chemins, profiter de la vie, même si cela devait se faire aux détriments d'autres, dans le respect bien sûr. Mais le plus important c'était lui, dans tout son égoïsme et la fougue de sa jeunesse.

Le renseignement avait été pris au sérieux, du moins avant plus amples explications et vérifications. On l'invita à passer à l'étage supérieur, surement le lieu des rencontres pour les habitués et les gens de confiance. Il lui faudrait faire preuve de persuasion et de retenu. Surtout ne pas sur-vendre son renseignement, pour ne pas faire courir de risque inutile à une équipe, qui voudrait par la suite se retourner contre lui. Les mots de la vieille allaient en ce sens, il lui faudrait simplement montrer qu'il était capable de glaner du renseignement, et l'utiliser à bon escient.

Il jeta un coup d’œil sur la marmite, un globe oculaire, dont il était impossible d'en dire la provenance, flottait à la surface, illustrant les menaces et les mises en gardes à propos de son prochain vis à vis. Puis sur le tissu qui couvrait l'entré de ce qui devait être l'accès à l'étage. Shawie, Shawie, Shawie, pensa-t-il plusieurs fois comme pour ne pas l'oublier et prendre.

Il prit le deuxième verre en main, le vida d'une traite et le fit claquer sur le comptoir.

Merci m'dame, lança-t-il sincère.

Il se leva est contourna le comptoir pour passer derrière, poussa le morceau de tissu d'un revers de main et monta. Une fois à l'étage il se stationna juste au bord de l'escalier, observa la salle, il y fit un pas.

On m'a dit en bas de d'mander Shawie ! lança-t-il tout en guettant les réactions.

Rollon désirait se faire un nom dans la profession de brigand mais il était encore novice, n'ayant à son actif aucun méfait sauf dans son enfance où il avait participé à quelques vols sans envergure pour subsister.

Il avait entendu parler de l'endroit quelques jours auparavant et s'était décidé à y aller, pour voir. Il était entré dans ce repaire de malfrats la boule au ventre. Qu'allait-il y trouver?

Un vieil ivrogne lui indiqua la taverne des lieux. Par curiosité il y alla. Il s'assît à une table et commanda une chope de bière. Il observa les alentours, sirotant sa boisson, la capuche toujours sur sa tête.

Après une troisième avalée cul sec cette fois-ci, Rollon décida d'aller voir une veille femme portant semble-t-il un léger duvet au menton et qui le fixait d'un regard qui pouvait lire en lui.

Il se présenta en chuchotant car il se doutait que très certainement il pouvait y avoir des oreilles indiscrètes.

B'soir, hmm, voilà j'aimerai me faire un nom dans la profession de brigand. Le soucis c'est que je suis tout seul et que je me fais assez souvent poutrer... Et ne parlons pas de prendre une mairie, c'est quasi impossible. Savez où je pourrai trouver ce que je cherche? De préférence des compagnons sympathiques?

[La salle à l'étage -loin des bavardages-]

Makhnos scruta la pièce, quelques tabourets, un comptoir. L'ambiance était bien différente du bas ici, et cet étage n'était pas -ne serait-ce que par sa taille- fait pour accueillir les premiers pécores qui en demandent l'accès. D'ailleurs lui n'avait même pas remarqué le possible escalier derrière le rideau épais,  et même, il n'avait pas remarqué le rideau lui-même tellement la crasse était présente. Magnifique dissimulation pensa-t-il. Néanmoins, lui bien qu'il soit un pécore, n'avait pas demandé l'accès, on l'avait invité à grimper. C'est donc au moins avec l'assurance d'être monter en inviter qu'il s'avança dans la pièce.

Une jeune femme, brune, de sa taille -à quelques centimètre près- et des ses âges -à quelques années près- était derrière le comptoir. Ils n'étaient que deux dans la salle, la vielle étant restée en bas, vraisemblablement pour discuter avec un quidam venant d'arriver. Mais le mandrain avait toujours en tête la description et la mise en garde de la jeune-vielle "terrible et méchante" qu'elle avait dit. Makhnos s'approcha un peu, elle l'apostropha, elle avait les yeux vert. Il ne savait pas dire si elle était plutôt jolie, ou autre, la lumière sans doute.

C'est la p'tite dame, avec le regard torve qui m'a dit d'monter. Elle m'a dit d'mander Shawie, je suppose que c'est toi ? dit-il regardant autour, la pièce vide.

J'lui ai causé d'un truc que mon ouïe baladeuse a pu capter, contre deux godets, puis j'suis monter. Tout ça entre autres bavardages, et histoires diverses.

Alors c'est à toi que j'dois m'adresser ?

Bien qu'il pu paraître candide au premier abords, le Makhnos prononçait ces mots avec force et sûr d'être monter pour la bonne chose.  Voilà peut-être l'une des personnes qui lui montrerait "L'art" dont il avait causé avec la vieille. En espérant qu'elle n'était pas si "terrible" que lui avait raconté l'autre... surement des bobards.

Comme à l'accoutumée, Praséodyme estoit occupée à salir quelques verres derrière le comptoir, à l'attention de visiteurs de passage. Elle prenait des gobelets propres dans la réserve de sous le comptoir, devant elle, les plongeait dans un baquet d'eaux grasses, les essuyait vaguement avec un chiffon sale, crachait dessus pour les patiner un peu, étalait les glaires avec sa manche, et les remisait derrière elle, sur les étagères.

L'établissement avait un standing à défendre, et il estoit inconcevable qu'en ces lieux on servît les traîne-patins, tire-laine, pendards, escrocs, gibiers de potence, écornifleurs, voyous, arsouilles, coquins, coupe-jarrets, pendards, fripouilles, malandrins, scélérats, truands, notaires, politiciens et autres taupes de la prévosté dans de la vaisselle propre. Ce serait contraire aux usages de la briganderie, épicétout. Question d'étiquette ...

Un homme encore jeune, qui semblait avoir la vie devant lui, mais qui devait éviter de se retourner s'il ne voulait pas risquer de l'avoir dans le dos, entra et commanda à boire.

Drôle d'allure, se dit Praséodyme in petto. Encore un qui a une tête à avoir inventé Fatum !

De l'hypo crasse dans un verre propre ? Vous êtes certain ? C'est un coup à tomber malade, Mon Bon Messer ... Je serais vous, je tenterais plutôt l'hyper crasse dans un verre sale. Mais bon, c'est vous qui voyez, comme dit l'autre.

Elle prit un verre pas trop sale de sous le comptoir, hésita à mollarder dedans, se reprit au dernier moment, et servit une rasade de vinasse vaguement sucrée au quidam.

Et à part venir boire des liqueurs de pucelle dans la vaisselle du dimanche, quèqui vous amène par cheux nous, Mon Saigneur ?

Et elle reprit sa tâche de salissage, en attendant une réponse qui ne l'intéressait qu'à moitié ...

Praséodyme observait l'homme boire son breuvage avec componction. Elle fit l'hypothèse que c'estoit un individu bien éduqué, du genre qui connait le carré de l'hypoténuse. Propre et bien vêtu, il lui rappelait un gentilhomme de fortune qu'elle avait côtoyé naguère, un tourangeau nommé Bellepère de Loches. Il portait lui aussi des gants en peau, faits soit disant d'un poisson que l'on trouve dans la mer Méridienne, et il affirmait qu'il ne fallait les manipuler avec moultes précautions, car la peau de mérou pète. Il faut toujours se méfier avec la peau lisse, disait-il, comme de toutes manières tous les brigands vous le diront.

Entendre l'homme lui dire qu'il n'estoit qu'un minot lui titilla l'hypophyse. S'il disait cela ici et maintenant, c'est assurément qu'il souhaitait que l'on crût le contraire. C'est le principe, dans les Sociétés secrètes, de ne pas dire que l'on en fait partie. Si Untel vient vous voir en clamant bien haut Je suys un Brigand de la Grotte ! soyez bien certain qu'il n'en est rien. C'est comme avec les Invisibles. Si vous ne Les voyez pas, c'est la preuve évidente qu'Ils sont là, et inversement.

Venir vous frotter aux gens d'ici, habillé comme vous l'êtes, est fort imprudent, Vostre Grasce, ça va vous coûter un bras en frais de pressing. Evitez le travail au noir, c'est un conseil. Quand à la crème, pour ce que j'en connais, y'aurait des moment où elle aurait un peu tendance à tourner. Mais ce que j'en dis, par Ma Foy, ou Son absence, si vous cherchez un travail pas trop salissant, je peux toujours me rencarder. Après, évidemment, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, on n'obtient pas d'œufs sans voler des poules, on n'a pas de poules si on n'occis pas d'abord le fermier, vous mordez l'enchainement, Votre Sérénité ? Laissez-moi donc un bristol avec vos références, je vais le coller au panneau d'affichage, ou envoyer un pigeon sur les réseaux zoziaux.

Praséodyme avait écouté la diatribe du pauvre bougre d'un air distrait. Elle avait compris que le pékin s'estoit faict dérober son pécule par un tire-laine de passage, et qu'il venait icelieu demander pour réparation. Il affirmait qu'on lui avait dérobé des pâtisseries, et il demandait à ce qu'on les luy rende.

Elle réfléchit un moment, avant de déclarer, péremptoire :

Ben, Mon Seigneur, icelieu ce n'est poinct le bureau des pleurs ni des assurances, vous savez. Des brigands, on en voit, de temps à autre, mais on leur demande poinct de comptes sur leurs occupations. Ce s'rait indiscret. Et pis, Loches et Sainct-Aignan, si ma mémoire ne me faict poinct défault, ce n'est point en Touraine, mon brave. Nan ! C'est en Berri. Et vos pâtisseries, elles sont maintenant en Berri, et poinct en Touraine, pour sûr ! Et c'est même à craindre que vot' larron les aie déjà mangées, à c't'heure. Fin, moi, c'est c'que j'aurais faict. J'les aurais mangées. C'estoit des pâtisseries de quel genre donc, au faict ? Des chouquettes ? des babas ? des meringues ? des profiteroles ?

Et machinalement, elle nota dans un coin de sa mémoire : ne poinct détrousser le sieur Zekinguefaïve en ce moment, il n'est plus tellement en fonds ...

La petite rouquine souriait à son interlocuteur, heureuse de le revoir. On peut être brigande et avoir un petit coeur qui bât sous la gangue d'immoralité et de pêchés qui l'entoure. Elle aussi, à un moment donné, avait tenté de reprendre une vie plus classique l'année passée. Et nombre de brigands avait besoin de temps en temps de faire des pauses, pour ensuite mieux revenir, mieux apprécier et mieux vibrer. Ausssi, Valentina ne pouvait-elle que comprendre Hasiar. Elle porta son verre à ses lèvres sans quitter ce petit sourire en coin qu'elle arborait depuis le début de cet entrevue.

Maire, c'est dommage ! Tu aurais pu nous appeler et nous t'aurions aidé à la vider. Les temps sont durs, tu sais et les caisses et stocks sont bien souvent vides lorsque nous défonçons les portes... A tel point que les pékins croisés sur les chemins sont souvent bien plus intéressants.

A l'évocation de la Grotte, Val' glissa sa main droite sur celle d'Hasiar.

Tu sais, ici, c'est un peu chez toi si tu le veux. Même si la Grotte a changé. Notre Satyne internationale est toujours là évidemment et de jours en jours, sa renommée grandit ! Figure-toi qu'elle a fait l'objet d'annonces ducales... Satyne, c'est un peu notre Attila ou notre peste noire mais en plus attirante quand même. Rien ne repousse sous le sabot de son cheval ! Un petit rire s'échappa de la gorge de la rouquine. Prasé n'est pas en reste non plus. Notre mamie, a d'ailleurs écrit deux très bons articles dernièrement de son aiguisée plume, tu devrais les lire. C'est un régal. Shawie, par contre, n'est plus parmi nous. Elle a changé de vie et aux dernières nouvelles avait intégré un ordre royal. Les choses changent comme tu le vois. Mais pas toutes ! Moi, me faire baptiser ? Tu pries déjà bien assez pour moi comme ça, et à moins que tu ne souhaites me prendre en épousailles, comme le disent les bourgeoises, je n'en vois pas l'intérêt. Par contre, avec Prasé et Jean-Claude, nous nous sommes tapés un cardinal divinement bien équipé... Puis, il a fait pleuvoir des écus sur nous dans sa grande mansuétude. Ce fut un grand moment, une sorte de communion de corps et d'esprit.

Enfin, un grand projet d'avenir est à l'étude, mais, il est trop tôt encore pour en parler. En attendant, si tu t'ennuies, tu peux me servir de cobaye. Je suis médecin, tu sais, même si tout le monde a l'air d'en douter... bizarrement... médecin débutant, hein !, et j'ai besoin de cobaye pour m'entrainer à ausculter... Rien de méchant ou de compliqué, il faut juste ôter sa chemise !

Le rire de la petite rouquine raisonna dans la taverne. Certaines choses ne changeaient effectivement pas.